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Carnaval : une sélection d'oeuvres de peintres capois (illustration: Tet Ansanm pou Okap)

Carnaval 1946 - Philomé Obin
Philomé Obin, Carnaval 1946, Cap-Haitien, 30 x 24 pouces, Huile sur masonite, collection privée

Le carnaval dans le contexte haïtien

« Parmi les différentes manifestations sociales qui ont cours dans le vécu quotidien du corps social haïtien et qui font partie intégrante de son patrimoine culturel se situe le phénomène du carnaval haïtien… Le carnaval est un phénomène social qui constitue une partie extrêmement importante du patrimoine culturel haïtien. Sujet à évolution, il relève de l’histoire. Il a donc pris naissance, a connu une enfance, s’est développé diversement selon les structures sociales historiques… » (Jacques Oriol)

Origines du carnaval

Le concept de carnaval en tant que période de réjouissances, de célébrations et d'indulgence avant que ne débute le Carême, ces quarante jours de pénitence et d'abstinence avant Pâques, a gagné en popularité à travers toute l'Europe à l’époque du Moyen Âge, prenant diverses formes à mesure qu'il se propageait.

À partir du XVIe siècle, les Européens chrétiens ont apporté la tradition avec eux lorsqu’ils se sont établis tant en Amérique du Nord que du Sud. Le carnaval va se transformer, prenant souvent une signification politique et religieuse, au contact des populations autochtones.

En Haïti, le carnaval commença durant la période coloniale. On retrouve la trace du premier carnaval dans le récit qu'en fait Pierre de Vaissière (dans Saint-Domingue, la Société et la vie créoles sous l’ancien régime – 1629-1789), le Carnaval de 1730 au Cap-français. Les esclaves possédaient une manifestation propre à eux qui débutait peu après le carnaval de leurs maîtres et se prolongeait jusqu'au dimanche de Pâques. Certains historiens mentionnent qu'elle est très liée aux sociétés Congo qui s'occupent de l'animation des travaux des champs, On y retrouvait des types de chants très utilisés par les esclaves, dans lesquels ils font 1'éloge des maîtres en leur présence et les passent en derision en leur absence. Le rythme y est maintenu par les tambours et les instruments aratoires. Sans aucun doute, cela rappelle ce qui a lieu dans le rara d'aujourd'hui. En 1804, les esclaves libérés, vont adopter et adapter les festivités carnavalesques pour répondre à leurs propres besoins et objectifs.

Le carnaval haïtien est à l’origine une période de réjouissances populaires, à laquelle participent sans distinction, toutes les classes sociales. Au fil des ans, l'événement sera marqué par une lutte constante entre la préférence officielle et l'élite, entre des formes plus populaires de réjouissances effrénées repoussant les limites du contrôle social et une activité réglementée ne menaçant pas l’ordre établi.

Pour souligner la semaine carnavalesque et l’importance du carnaval dans la culture haïtienne, surtout dans la peinture, nous reprenons un texte qui a paru dans Le Nouvelliste du 8 mars 2017, sous la plume de Gérald Alexis. Nous avons illustré ce thème par quelques œuvres de peintres capois de renom. (Note de la rédaction)

L’héritage indigéniste : carnaval, festival … (Gérald Alexis)

J’ai pensé interrompre cette semaine les considérations sur l’image de la femme dans la peinture haïtienne pour voir comment certains artistes se sont inspirés du carnaval. Cette fête populaire que nous venons de célébrer est en réalité un sujet qui n’apparaît que dans l’œuvre des héritiers de l’Indigénisme. De telles images ne sont pas nombreuses mais elles sont d’un intérêt certain car elles traitent essentiellement du déguisement, certains étant des constantes dans nos défilés carnavalesques. Les festivités du Mardi gras sont une tradition dans plusieurs pays. Chez nous, elles se préparent des semaines à l’avance, à partir de la célébration de la fête des Rois.

Selon la tradition chrétienne, durant les jours qui précèdent le carême, tous les excès sont permis dans la consommation d’alcool, de nourriture. Ces excès sont aussi permis dans le vestimentaire. D’où l’idée du déguisement. Bien entendu, il n’est pas obligatoire de se déguiser mais on peut noter que les travestis, même modestes, affirment une fois de plus le potentiel créateur de la population. Dans ce «Carnaval» de Philomé Obin (1892-1986), on voit un groupe dense de festivaliers qui, tout au moins, dans les premières rangées, sont tous déguisés. Ils dansent mais semblent faire du surplace. C’est comme si le groupe s’était arrêté pour se laisser prendre en photo dans ce décor. Il s’agit, bien entendu, d’un coin de la ville du Cap sur lequel l’artiste insiste en choisissant de présenter la scène dans un «plan éloigné» au risque de montrer des rues presque désertes qui indiqueraient que la population est indifférente à ce défilé, ce qui serait peu probable. Il faut dire que chez Obin on note souvent l’hiératisme des spectateurs de la scène, quelle qu’elle soit.

Rara
  • Peintre: Jean-Claude Blanc
  • Titre: Rara
  • Medium: Acrylique
  • Dimensions: 30" x 40"
  • Collection : Privée
RARA II
  • Peintre: Jean-Claude Blanc
  • Titre: Rara II
  • Dimension: 12" x 16"
  • Collection: Galerie Lakaye
Carnaval au Cap-Haïtien
  • Peintre:Rony Leonidas
  • Titre: Carnaval au Cap-Haïtien
  • Date: 1970
  • Medium: Huile sur toile
  • Dimensions: 48" x 30"
  • Collection: Privée
Rara
  • Peintre: Charles Obas
  • Titre: Rara
  • Date: 1968
  • Medium: Huile sur masonite
  • Dimension: 24" x 20"
  • Collection : Chicago Gallery of Haitian Art.
Carnaval de 1954 - Rue Du pont
  • Peintre: Philome Obin
  • Titre: Carnaval de 1954 - Rue Du pont
  • Date: 1958
  • Medium: Huile sur canvas
  • Dimension: 76" x 61"
  • Collection : Privée.
Carnaval 1948 - Rue 5 Cap-Haitïen
  • Peintre: Philome Obin
  • Titre: Carnaval 1948 - Rue 5 Cap-Haitïen
  • Medium: Huile sur asonite
  • Dimensions: 30" x 24"
  • Collection: Privée Pensylvanie
Un Mardi De Carnaval Tempera
  • Peintre: Philome Obin
  • Titre: Carnaval 1948 - Rue 5 Cap-Haitïen
  • Date: 1960
  • Medium: Crayon sur asonite
  • Dimensions: 30" x 24"
  • Collection: Privée
Rara
  • Peintre: Jean-Baptiste Bottex
  • Titre: Rara
  • Date: 1969
  • Dimensions: 40" x 30"
  • Collection: Fondation Nader

Le rythme est l’élément premier du tableau «Bèf ap banbilé» du peintre et dessinateur Alix Roy (1930-2010) décédé lors du tremblement de terre. A côté du rythme, il y a aussi, bien entendu, l’humour de ce peintre pourtant tellement timide. L’action n’est située nulle part. La foule de personnages remplit la totalité du support ne laissant apparaître, çà et là, que le fond noir. Mais, plus que tout cela, ce qui est important ici c’est la représentation d’un costume traditionnel, celui des «bèf», personnages qui généralement ouvrent le défilé carnavalesque. C’est donc une image qui étaye notre mémoire de peuple.

J’ai eu à dire dans une chronique précédente que ce costume était originaire du Nord du pays. C’est ce que l’on m’avait dit. Depuis, j’ai appris qu’un costume identique se retrouvait dans des festivités de nos voisins de la Caraïbe. Il semblerait qu’il soit le produit de ce métissage caractéristique de la région. En effet, la représentation du bœuf, animal à cornes, serait d’origine africaine alors que la vessie en tant qu’accessoire viendrait de l’Europe où, entre autres, les «Narro» de l’Allemagne (région Forêt Noire) frappent les spectateurs de leurs vessies de porc lors de leur défilé dans la ville. Des vessies apparaissent aussi en Belgique et dans certains territoires dans le Sud des États-Unis, anciennement français.

Le costume des «Indiens» dans notre carnaval est lui aussi apparenté à des costumes d'un festival qui précède le carême en Louisiane. J’ai eu l’unique opportunité de fréquenter pendant quelques semaines une secte qui, lors de notre carnaval, constitue le groupe des Indiens. Le travail long et appliqué que ces hommes accomplissent pour réaliser ces costumes magiques est extraordinaire. Je comprends que Wilson Bigaud (1931-2010) ait choisi de porter avec fierté un tel costume pour son autoportrait.

Les bandes de rara, par contre, ont inspiré les indigénistes, particulièrement ceux qui comme Lucien Price et Antoine Derenoncourt, ont fait l’expérience du monde rural. Ce festival qui fait suite au carnaval et qui se poursuit pendant le carême n’a pas cessé de fasciner également des artistes œuvrant dans les années qui ont suivi le mouvement indigéniste. Ensemble, ils ont ainsi créé des images qui fixent leur vision de ces rassemblements qui sont une part importante de notre patrimoine immatériel. Je n’ai pas la compétence pour traiter de ce qu’est le rara, ses origines et l’organisation de bandes qui sillonnent les campagnes et certains coins de villes, mais je peux y voir l’occasion pour nos artistes de traduire, dans une image peinte, le rythme et la frénésie qui émanent de ces festivités.

Pour réaliser son tableau «Rara», Ernst Louizor (1938-2011) a choisi un point de vue plongeant, dominant ainsi la scène. Ce choix, par ailleurs, permet de raccourcir les distances. Notre regard va ainsi jusqu’au bout de la ruelle où se déroule la scène. Il permet aussi de comprimer l’espace permettant un rapprochement limité des corps. Ceux –ci sont pris dans une composition circulaire dont les abords sont sombres pour bien signifier que c’est une scène de nuit. Ils sont éclairés par une lumière imaginaire qui permet de voir qu’ils sont saisis dans des mouvements variés. Enlacés ou pas, on les voit danser au son de cette musique que l’on peut mentalement recréer en voyant ces musiciens enfiévrés (tambourineurs et joueurs de vaccine) qui sont au premier plan.

Vers la fin de sa carrière, Charles Obas (1927- disparu 1969) a fait du Rara son thème favori. Son approche ici est bien différente. Le point de vue, qui est horizontal, met en évidence le porteur du panneau identifiant le groupe et qui aurait pu porter des dénominations comme «chien méchant», «Taureau lakou» que l’on a pu voir lors des rassemblements à Léogane à la fin du carême. Les corps regroupés, dansant frénétiquement, ne sont ici signifiés que par des lignes énergiques de couleurs vives, d’autres incisées dans un fond couleur noire de la nuit.

Gérald Alexis.

NOTE

Le site https://villeducaphaitien.com a traité le thème «Carnaval et société » au Cap-Haïtien à quelques reprises. En référence, vous retrouverez trois excellents articles pour en savoir plus.

Références

1. Gérald Alexis . L’héritage indigéniste : carnaval, festival …Publié le 8 mars 2017 dans Le Nouvelliste.

2. Voegeli Juste-Constant. La Musique dans le carnaval haïtien : Aspects urbains et ruraux. Université de Montréal. Thèse de doctorat, 1994. 400 p.

Pour en savoir plus long sur la tradition carnavalesque au Cap-Haïtien, nous vous suggérons ces trois articles :

3 Voir aussi Dimanche de carnaval au Cap.

3. Voir aussi L’histoire secrète du premier carnaval des étudiants, 1961.

4. Voir aussi Gaspiya.