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Éducation

Le lycée Philippe-Guerrier du Cap-Haïtien : une longue tradition de qualité (Charles Dupuy)

Fondé en 1844 sous l’administration du président Philippe Guerrier, le lycée national du Cap-Haïtien sera, avec celui de la ville des Cayes, le premier lycée établi en dehors de Port-au-Prince. Les deux institutions, celle du Cap de même que celle des Cayes, portent le nom de leur président fondateur comme le voudra désormais la tradition. C’est celui qui occupait le poste de ministre de l’Instruction publique dans le gouvernement de Philippe Guerrier, le très progressiste Honoré Féry qui prit l’initiative d’ouvrir ces deux institutions de même que les premières écoles communales qu’il répartira à travers le pays.

On ne compte plus les hommes politiques célèbres qui auront fréquenté le lycée Philippe-Guerrier du Cap. Citons Demesvar Delorme, l’auteur des Théoriciens au pouvoir, un ouvrage couronné par l’Académie française et qui eut lui-même pour élève Oswald Durand; Anténor Firmin qui aura eu pour professeur en classe de philosophie un normalien, M. Zeff, membre éminent d’une mission pédagogique française; le Dr Rosalvo Bobo, illustre homme politique, l’auteur du célèbre pamphlet Never, qu’il opposait aux Américains avant l’Occupation; de même que les présidents Cincinnatus Leconte, Davilmar Théodore, Vilbrun Guillaume Sam, Élie Lescot, Émile Jonassaint et d’autres...

Signalons qu’au début de l’Occupation américaine, le ministre de l’Instruction publique, le docteur Léon Audain, ferma d’autorité tous les lycées de la République à l’exception de celui de la capitale, le lycée Pétion. Pour expliquer sa décision, le ministre déclara que la République d’Haïti n’avait pas les moyens matériels d’instruire gratuitement autant d’élèves sur son territoire. Le lycée du Cap ne rouvrira ses portes que bien après le départ du ministre Audain, soit une quinzaine d’années après l’entrée en vigueur de son décret obscurantiste.

Le premier directeur du lycée Philippe-Guerrier du Cap s’appelait Louis Nadal, ce dernier était un ami du président Guerrier et un professeur émérite du lycée Pétion. Il faut savoir qu’à cette période, le prestige et l’influence d’un directeur de lycée étaient immenses. Ainsi, jusqu’aux années 1940, pour entrer à l’École de médecine, l’élève n’avait qu’à présenter une simple note de recommandation du directeur de son lycée. On retiendra de plus que c’est très souvent parmi les directeurs de lycée du pays que l’on choisissait les ministres de l’Instruction publique.

Certains directeurs du lycée, comme par exemple Joseph Augustin Guillaume, Luc Grimard, Louis Mercier, resteront très longtemps en poste et feront leur marque sur l’établissement. Après Louis Mercier viendront Georges Marc, Paul Artaud, Raymond Gracia, Pradel Péan, Louis D. Hall, Dumas Michel, Guillaume Desrosiers, Arnobe Toussaint, Ruben Charles, Josué Lamour, etc. Le directeur était toujours assisté d’un censeur (Alfred Angrand, Rodrigue Gaspard, Joseph Thomas, Jose Wasenbeck, etc.) qui tenait le rôle de préfet des études de l’établissement alors que le surveillant général s’occupait de la discipline. Il serait impossible de dresser ici la liste de tous ces valeureux professeurs qui ont éduqué des générations d’élèves, citons seulement Oswald Durand, Murville Férère, Jacques Magloire, Gaston Sam, Christian Werleigh, Émile Auguste, Raoul Angrand, Maurice Péan, Pierre Gonzalès, Lefort Valcourt, Max Verne, Fernand Victor, Nelson Bell, Charles et Henri Pasquis, Jacques Agénor, Serge Boisette, Roger Buon, Jean Charles, Adrien et Clémenceau Fouché, Luc Mathurin, Claude Nelson, Joseph C. Pierre, Jeannet Pierrot, Louis Toussaint, Michel Gilles, Joseph Darcelin, Constant et Raymond Daquin, le R.P. Augustin, René Vincent, Jacques Voltaire et puis aussi la cohorte des jeunes normaliens, Yanne Bright, Michelle Desroches, Jean Vital, Callisthène Féquière, Camille Julien, Michel François, Reynold Metellus, Gabriel Méhü, Vilard Nelson, Jean Bernardin, Jacques Mathias, etc.

Sous la conduite de ces professeurs, on verra les élèves du lycée briller sur la scène dans des pièces de théâtre classique, participer à des floralies de poésie, publier Flèche, un petit journal étudiant lu dans toutes les écoles de la ville et d’ailleurs, remporter de multiples tournois sportifs, se réunir dans des associations culturelles de haute tenue comme le Cercle Louis Mercier ou l’Académie de la Jeune culture.

Le lycée du Cap était une école secondaire de garçons où, selon les règles, l’élève entrait en 6ème et finissait ses études en classe terminale. Aucun élève ne pouvait s’inscrire dans les classes intermédiaires que s’il était le fils d’un fonctionnaire de l’État ou bien encore celui d’un officier de l’armée qui serait arrivé dans la ville au cours de l’année scolaire suite à un transfert. Jusqu’aux années 1960, le lycée du Cap desservira les populations des départements du Nord, du Nord-Ouest et du Centre. Ses élèves venaient de Fort-Liberté, de Ouanaminthe, de Port-de-Paix, de Hinche, de Plaisance, du Borgne, de la Baie de Henne, du Môle Saint-Nicolas, du Limbé, de Pilate, de Saint-Michel de l’Attalaye, etc.

Entre-temps, le lycée était devenu une école mixte où les filles étaient admises en classe de 4ème. (les premières s’appelaient Jacotte (Jacqueline) Riché, Irène et Marie-Lise François, Gisèle et Rose-Thérèse Appolon, Josette Eyma, Marie-Lucie Sterlin, Aglaé Prophète, Paule Léveillé, Yolaine Cartright, Marie-Odile Daguindeau, Gladys Blot, Marie Jean-Pierre, Gisèle Piou, Elsie Menuau, etc.). Quelque dix ans plus tard, les filles entraient en classe de 6ème et aujourd’hui, elles sont aussi nombreuses que les garçons.

En mai 1956, la police arrêtait Thimoléon Innocent, le jeune frère âgé de 12 ans à peine de l’activiste Luc B. «Coco» Innocent et qui, son bidon d’essence à la main, tentait d’incendier l’établissement à la faveur de la nuit. C’était l’époque ou l’opposition visait à renverser le président Paul Magloire au moyen d’une vaste campagne de terrorisme urbain. C’est d’ailleurs sous le gouvernement de Paul Magloire, lui-même un ancien du lycée, que l’on construira les nouveaux locaux de l’école dans le quartier de Grand Jardin, au nord de la ville. Magloire jugera alors utile de venir personnellement au Cap, afin de poser la première pierre du nouvel édifice. Notons ici que les travaux de construction du bâtiment cesseront immédiatement après la chute de Magloire, en décembre 1956, pour ne reprendre que quelque cinq ans plus tard. Après l’inauguration de ces nouveaux locaux, le lycée disposait de son auditorium, de sa cafétéria, de ses salles de laboratoire et des appartements privés du directeur.

À l’arrivée de la dictature duvaliériste, le lycée fut témoin de quelques drames dont seront victimes élèves et professeurs. C’est ainsi qu’un matin de 1960 on vit déboucher le chef de la police, le capitaine Tony Pierre, suivi de quelques sbires. C’était pour arrêter un élève qui, la veille, avec ses camarades, chantait «Nous préparé» dans un cortège du carnaval. Alors que ces élèves voulaient signifier qu’ils étaient prêts à affronter les prochains examens, les tontons-macoutes comprirent plutôt qu’ils se disaient prêts à combattre le régime en place. Un an plus tard, ce sera une horde de miliciens duvaliéristes qui pénétreront de force dans l’enceinte du lycée au motif qu’ils voulaient chasser de son poste Robert Bazile, le directeur du Poté-Colé, un programme d’assistance américaine. Le malheureux professeur d’anglais, Luc Thimothée, qui osa résister aux miliciens qui envahissaient sa classe, fut horriblement molesté par ces derniers et n’échappa que de justesse à son lynchage, cela, grâce à l’intervention in extremis de ses élèves.

Vieille institution fondée il y a tout près de deux siècles, le lycée du Cap a pour devise «Le soleil luit pour tous». Au fil des années, il continue de maintenir ses vieilles traditions de qualité et d’excellence et nous pouvons espérer qu’il le fera encore longtemps au plus grand bénéfice de la jeunesse haïtienne. (*)

NOTE

(*) Le 31 mai 2019, le lycée célébrait les 175 ans de sa fondation, à cette occasion, le directeur de l’établissement eut à déplorer que le lycée ne disposait encore ni de bibliothèque ou de laboratoire d’informatique. En octobre 2018, le quotidien Le National signalait l’état de vétusté du bâtiment alors que, de leur côté, les parents lançaient un plaidoyer pour l’aménagement ou la relocalisation du lycée.



Charles Dupuy
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