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Femmes

Toto Bissainthe (selon Jasmine Narcisse et Ralph Boncy)

«Toto a aimé la vie, la fête, la poésie, le théâtre... c'était une très grande diseuse. [Elle] a profondément marqué le théâtre haïtien par son rapport au texte et son travail de mise en scène de la chanson. Elle laisse un vide énorme.» (1)

Marie-Clotilde Bissainthe voit le jour au Cap-Haïtien,le 2 avril 1934, sous le signe du Bélier. C’est bientôt la fin de l’Occupation américaine et la petite fille, dernière d’une famille de cinq enfants, dont le père, Camilus, possède une imprimerie, va migrer très jeune vers Port-au-Prince. Elle garde de cette brève enfance dans le Nord, une fierté toute « capoise » et ce surnom de Toto qui lui colle à la peau.

Tournant le dos à une scène encore bruyante des retombées du Bicentenaire, et des excentricités folkloriques de Lina et de Lumane, la Toto qui part d'Haïti à 17 ans pour New-York, avec ses sœurs, au début des années 1950 est loin de cette mordue de la rampe dont, bien avant ses prestations haïtiennes, nous parviendra, assourdi par un voile de terreur et de silence, un renom de turbulence et de prestige. C’était le début d’un long exil artistique qui va durer plus de trente ans, entrecoupé de rares mais spectaculaires retours au pays natal. En effet, à New-York puis à Paris, cette femme pour qui, de tout temps, semblent avoir été créées la rampe et ses tourmentes, donnera dans un premier temps une impression vague d'hésitation studieuse et de tâtonnement. On la voit participer à des stages d'aide-infirmière, amorcer des études d'agronomie, abandonner choses et autres. Puis éclate dans une part assumée d'elle-même, celle qui, pour répondre plus authentiquement au monde de rêves et de révolte qui l'habitait, la trouvera en pleine lumière sur la ligne de son départ.

On la retrouve sur les planches, en Afrique de l’Ouest comme à Paris, où elle joue d’abord dans « Le mariage de Fatou » d’Émile Cissé. Toto s'épanouit dans l'ambiance toute d'exultation de minorités révélées à elles-mêmes, se retrouvera, à la faveur d'amitiés fortuites, à faire la découverte enrichissante d'un théâtre en rupture avec lui-même et d'une Afrique en voie de décolonisation, foyer fécond d'une négritude riche et vibrante de perspectives. Dans les remous des Griots (première compagnie africaine d'Art dramatique de Paris à la fondation de laquelle elle participera en 1956 avec Sarah Maldoror, Samba Ababacar, Timiti Bassori...) et sous la direction novatrice et frondeuse d'un Roger Blin puis d'un Jean-Marie Serreau, Toto connaît des débuts remarqués et non moins prometteurs. Depuis, au goût d'acquis successifs ou d'une permanence à chaque coup plus enracinée, se confirmera, dans des pièces de Synge, Pouchkine, Abdou Anta Ka, Ionesco, Becket, Kateb Yacine, Jean Genêt..., une carrière talentueuse de comédienne et qui la trouvera, plus près de nous, dans des mises en scène de Syto Cavé, pour ne rien dire évidemment de ses rôles à l’écran, lesquels, pour ne pas offrir à ce monde de mouvement qui était son cadre idéal d'éclatement, ne la trouveront pas moins d'un talent affirmé.

Que cette même foulée ait révélé dans la chanson une fougue aussi ardente, voilà qui n'a rien pour étonner. Et encore moins, nous paraît-il, ces couplets dont plus encore que de leur prêter voix, elle fera crânement le choix à l'époque de faire vivre intensément sur scène les fibres les plus secrètes et subtiles. Accompagnée au début du pianiste Max Piquion puis de Toto Lami, c'est Ferré, Ferrat, Brel, Aznavour, Moustaki, Nougaro, Barbara...

Doué d’une présence scénique exceptionnelle, Toto Bissainthe, au regard plein de défis va bientôt conquérir un public vierge en Haïti, à la fin des années 1960. Son premier 33 tours éponyme, introuvable de nos jours, va rentrer dans les annales. Ce récital d’adieu qu’elle présente au Ciné Capitol en 1969 est le premier d’une trilogie de disques enregistrée en concert. Elle y transcende l’âme haïtienne et son folklore par la complainte afro « Papa Damballah », le conte « Thézin », les poèmes de Tiga et de Félix Morriseau-Leroy. Mais surtout, elle incarne avec un bagout phénoménal des textes créoles truculents de la populaire animatrice de radio Jacqueline Scott, inspirés d’Aznavour et de Ferré. Le succès « Graine d’ananar » adapté librement de ce dernier devient « Ti Loraj Kale » : un portrait de femme rebelle. Une sacrée pièce d’identité, une «signature song», comme le dit si bien l’anglais, dont Radio Haïti fera un succès légendaire.

Datant de ces échanges, autour de 1970, avec Max Pinchinnat, une autre grande Toto se découvre, marquée, à tout jamais, au sceau de sa rencontre avec la culture profonde haïtienne. Considéré comme soirée inaugurative de cette période, ce récital mémorable de La Vieille Grille à Paris (1973) où, pour la première fois, elle laisse entendre des morceaux de son répertoire inspiré du vodou et récemment constitué. Son parcours s'enrichit alors à mesure de rencontres plus proches des sources qui l'interpellent dont pour les musiciens haïtiens: Daniel Coulanges, Boulo Valcourt, Joël et Mushi Widmaier, et les paroliers Marco Wainright, Michael Norton, Syto Cavé, Lionel et Rolph Trouillot... En 1978, Toto entreprend en effet le chemin du retour et qui, bien plus long qu'elle ne se le figurera, la trouvera de 1979 à 1984, en Martinique, en 1984 en République Dominicaine et enfin en Haïti bien plus tard, en août 1986.

Qu'est devenue pour elle Haïti le temps de ce long crochet de plus de 20 ans? Loin de l'image douloureuse certes mais non moins pleine d'échos tapageurs qu'elle s'était faite, beaucoup plus, a-t il semblé, un lieu non familier où, de désappointements en successives désillusions, elle se verra contrainte de fermer à mesure des bras offerts à l'arrivée. Multiples seront, en effet, les tentatives de Toto de trouver le mot, le ton qui ouvrirait le dialogue... L'Haïti tant chantée restera implacablement muette à son invite. Cependant, elle n'en fera pas moins sa demeure permanente, partagée entre cette glu singulièrement riche de sollicitations décousues et de fausses répliques d'une terre natale à reconstruire et des engagements d'artiste à honorer (elle se surpassera par exemple en 1989 à Dakar, à ce spectacle Sons et Lumières créé pour la réunion de tous les chefs africains où elle chante Toussaint Louverture). Loin de ses meilleurs moments de trépidation, elle joue alors très peu en Haïti.

Ses proches revivent encore cette insondable défaite : «Quand nous sommes revenus en Haïti, c'était pour construire. Et quand Toto s'est rendu compte que ce n'était pas possible, elle a tout lâché. Elle n'avait plus la force de revenir en arrière»(2). Un répit était-il envisageable dans la prise en compte, l'acceptation réaliste d'un échec? Mais comment raisonner et rendre lucide de grands mots et un rêve? «Elle était une enfant. Elle a toujours eu 7 ans. Sa révolte et son amour ont eu la témérité et la vérité d'une enfant»(3). Rejetant alors ce qu'elle semblait se refuser à comprendre, Toto, découragée, laisse s'abimer sa santé et à son dernier récital, c'est d'une Toto amère, sur une musique de Léo Ferré, que fusera ce cri douloureux, dernier soubresaut d'amour et de révolte: Ayiti, m pa renmen w ankò.

RÉTROSPECTIVES:
Spectacles
  • 1961-1970 Répertoire francais / créole
  • Tournées Haïti 1972-1973 Chants Vaudou. Paris, La Vieille Grille; Martinique, Festival de Fort-de-France (avec Akonio Dolo, Beb Guérin, Cayotte Bissainthe);
  • Haïti 1974-1977
  • Récitals
  • Bordeaux, Sigma (avec Colette Magny et Catherine Ribeiro);
  • New-York, Academy of Music à Brooklyn / Madison Square Garden / Carnegie Hall;
  • Paris, La Vieille Grille / Fêtes du PSU, d'Amnesty International; de l'Humanité, du MRAP...;
  • Tchéchoslovaquie, Festival international de Musique (Slovakoncert Bratislava)...;
  • Bruxelles, Campus en folie.
  • 1978- Chants populaires d'Haïti (avec Marie-Claude Benoit, Mariann Mathéus, Beb Guérin, Akonio Dolo, Mino Cinelu) Paris, Théâtre de la Ville / Olympia Théâtre d'Orsay-Jean-Louis Barrault-Madeleine Renaud / Palais des Glaces; Sartrouville, Théâtre Gérard-Phillipe.
  • Disques
  • Toto à New York, Chango, 1975
  • Toto chante Haïti , Arion, 1977; Prix de la chanson TF1 1978
  • Coda, 1996.
  • Films
  • 1958 Les Tripes au soleil, Claude-Bernard Aubert
  • 1978 En l'autre bord, Jérome Kanapa
  • 1979 Rasanbleman, Film reportage du concert des chants populaires d'Haïti
  • 1988 Haïtian corner, Raoul Peck
  • 1991 L'Homme sur les quais, Raoul Peck
  • La Tragédie du roi Christophe, Idrissa Ouedraogo
  • Théâtre
  • Avec Roger Blin: Les Nègres, Jean Genêt; Bœsman et Léna, Fugard;
  • Avec Jean-Marie Serreau: Les Bonnes, Jean Genêt; Amédée, Le Tableau, Les Œufs, Ionesco; Comédie, Becket; Arc-en-ciel pour l'Occident chrétien, René Dépestre; Le Cadavre encerclé, Les Ancêtres redoublent de férocité, Kateb Yacine; Funny House of a Negro, Adrienne Kennedy;
  • Avec Guy Lauzen: Un raisin au soleil, Hansberry;
  • Avec Guy Kayat: Les oiseaux, Aristophane;
  • Avec Jaromir Knitel: Le Cantique des cantiques, présenté au Festival de Nancy;
  • Avec Raymond Rouleau: Rashomon, Festival de Spoletto;
  • Avec Guillaume Chenevière: Le Malade imaginaire, Molière;
  • Mise en scène de Toto Bissainthe: La Voix humaine, Le Bel indifférent, Cocteau;
  • Avec Syto Cavé: Songe que fait Sarah, S. Cavé; Rosanie Soleil, Ina Césaire.
  • (1)Syto Cavé dans Le Nouvelliste

    (2) (3) Entrevue de M. Norton, conjoint de Toto Bissainthe.

    Sources diverses
    Ralph Boncy; Les grandes dames de la musique Haïtienne. Fondation Haïti Jazz, 2013.
    Toto (Marie-Clotilde) Bissainthe
    page consultée le 23 octobre 2019, Texte de CLAUDE-NARCISSE, Jasmine (en collaboration avec Pierre-Richard NARCISSE).1997.- Mémoire de Femmes. Port-au-Prince : UNICEF-HAITI. (1)
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