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Charles Obas : le virtuose du clair-obscur (Tet Ansanm pou Okap)

Charles Obas est né le 10 février 1927 à Plaisance. Il fait ses études au Collège Notre-Dame du Cap-Haïtien. À l’âge de 13 ans, encouragé par son père lui-même peintre, il se met à la peinture.

Gérald Alexis décrit ainsi ce peintre singulier : Son enfance n’a pas été facile dans cette ville de Plaisance où il est né en janvier (sic) 1927. Il avait du mal à se concentrer à l’école, ce qui lui a valu de changer plusieurs fois d’établissement. Capricieux, son esprit était ailleurs, essentiellement dans ces formes qu’il dessinait. C’est comme si la carrière d’artiste lui était dévolue dès la naissance. Avec les encouragements d’un père peintre et musicien, il ne pouvait que s’affirmer dans ces domaines. (1)

Ainsi, c’est encore grâce à son père qu’il entre au Centre d’art en 1948 et rejoint les peintres dits «primitifs». Il donnait ainsi priorité à ce besoin qu’il avait de représenter le monde avec des lignes et des couleurs». Les règles académiques n’étaient pas son souci. Dans la peinture de genre qu’il pratiquait à ses débuts, on sentait ses lacunes. Il est alors passé au paysage, mais cette peinture qu’il pratiquait lui semblait vide et l’ennuyait. Ce qu’il voulait vraiment, c’est y investir d’avantage ses sentiments. La nuit le captive. Elle lui apporte fascination et angoisse en même temps

.

Charles Obas était également un musicien accompli (2). Adulte, il pratique la musique – il jouait de l’accordéon et de l’orgue et la peinture. Charles Obas est le père de Beethova Obas, qui, héritant des talents paternels, est devenu un musicien de renommée internationale.

En 1950, il quitte deux ans plus tard le Centre d’art pour se joindre au Foyer des Arts Plastiques. Gérald Alexis résume ce tournant dans la vie de l’artiste : Aussi, lorsqu’il quitte le Centre pour suivre Cédor et Lazare au Foyer des Arts Plastiques, le clair-obscur va devenir une de ses grandes préoccupations. Michel-Philippe Lerebours nous dit que c’est au Foyer que Charles Obas a pris conscience de ses lacunes. C’est là qu’il s’est appliqué à la recherche de réponses aux questions esthétiques.

En 1954, le cyclone Hazel, qui frappe cruellement Haïti, va profondément marquer tant l’artiste que son œuvre. Le régime Duvalier sera aussi une période éprouvante pour Charles Obas et ses peintures d'orages et de fortes pluies sont autant de métaphores de la souffrance de l'ère duvaliériste.

En 1958, Il remporte le premier prix d'un concours soutenu par l'Office national du tourisme d'Haïti 1. La même année, les œuvres de Charles Obas vont connaître un succès certain dans des expositions d’art haïtien à l’étranger. Ce sera le cas, entre autres, lors de Première Biennale Interaméricaine de peinture et de gravure qui s’est tenue à México,-(1958), puis à la Biennale Américaine d’Art de Sao Paolo (1963).

Ce grand artiste, célébré tant en Haïti qu’à l’étranger, va cependant connaître une fin tragique. Hélas, des circonstances tragiques ont mis fin prématurément à la carrière de Charles Obas qui, par l‘aspect singulier de son œuvre, a marqué une étape importante dans l’histoire de la peinture haïtienne (2).

En effet, en juin 1967, François (Papa Doc) Duvalier qui vivait dans la crainte paranoïaque d'un complot contre sa personne, d'une conjuration militaire ourdie de l'intérieur, ordonna l'exécution de dix-neuf de ses plus proches officiers. Parmi ceux-ci se trouvait le capitaine Michel Obas, le cousin de l’artiste. En 1969, toujours très affecté par cet événement, Charles Obas serait aller devant les bâtiments de l'exécutif puis au Palais National pour protester contre l'exécution de son cousin par le régime Duvalier. Mauvaise idée!. Bien que le président à vie François Duvalier, connaisse personnellement l'artiste dont il possédait plusieurs de ses œuvres, il va ordonner l’arrestation puis l’exécution de Charles Obas comme l'a relaté son fils, le musicien Beethova Obas (x).

Dans une très émouvante lettre écrite par Dominique Joseph Obas, l'horrible dénouement de cette visite au Palais national est révélé (1): Au fait, où t’a-t-on emmené ? Qui t’a torturé au Palais ? Qui t’a achevé après ton passage dans le bureau de François Duvalier ? «On» raconte que tu as sauté par dessus le bureau, que tu as brisé la « porte française » ! Tu t’es retrouvé face à l’ogre, tu l’as traité de Néron, d’assassin, lui rappelant entre autre qu’il avait fait fusiller ton cousin Michel Obas, l’un des dix-neuf officiers exécutés le 8 juin 1967.

Ainsi, sous les ordres de Duvalier, ce vendredi 31 octobre 1969, il est emmené du Palais National au Fort-Dimanche. Personne ne reverra Charles Obas. L’histoire raconte que lorsque ceux qui devaient lui enlever la vie, voulaient cacher son regard, Charles Obas leur a expliqué avec énergie et vigueur : On ne bande pas les yeux d'un homme qu'on va fusiller. Ce sont ses derniers mots face à la mort.

L’œuvre de Charles Obas

Ariste d’une très grande sensibilité, Charles Obas s'est rapidement fait un nom dans le milieu artistique en Haïti. Il est un des rares artistes de son temps à avoir eu autant de succès sur le marché local. La critique admire les scènes de nuit de Obas. Ses œuvres sont unanimement reconnues pour leur rendu de la pluie. En 1954, après le passage du cyclone Hazel. Charles Obas se souvient de ces arbres qui se tordaient, de ces couleurs de l’environnement qui changeaient avec «des éclats de gris entre le blanc et le noir absolu». C’est suite à cela que, se joignant aux artistes de la Galerie Brochette, ses couleurs se sont assombries, comme l’a également noté Lerebours.

Charles Obas va devenir le peintre des scènes de pluie. Ses tableaux montrent le tragique des moments vécus sous la tempête. Il observe et retranscrit le changement de comportement des gens sous la pluie, leur empressement à chercher un abri, leur affolement voulant sauver ce qui peut être sauvé. Et puis, à part la pluie, il y a les vents, les éclairs, le grondement de l’orage. Tout cela dans une seule scène extraordinaire, fascinante, inquiétante. Même les oiseaux changent sous la pluie avait-il dit à Roger Gaillard dans une interview. Un tel spectacle provoquait en lui une émotion artistique forte qu’il est parvenu à rendre par cet effet particulier, cet effet de voile, de flou qui a fait et fait encore l’originalité des œuvres de cette période. Pourtant, les atmosphères que l’on retrouve dans ces tableaux de Charles Obas ne disent rien de ses rapports particuliers avec la pluie. Depuis sa tendre enfance, en effet, il adorait se baigner sous la pluie. Devenu adulte, lorsqu’il pleut, il se défaisait de ses vêtements, courait sur la terrasse de sa maison pour recevoir cette «douche céleste» à l’abri des voisins. La pluie pour lui, c’était l’eau du bon Dieu.

Dame En Noir
  • Titre: Dame En Noir
  • Medium: Huile sur toile
  • Dimensions: 20" x 16"
  • Collection: Lionel Duvalsaint
Nocturne
  • Titre: Nocturne
  • Medium: Acrylite sur Masonite
  • Dimension: 24" x 36"
  • 1962
  • Galerie Burchard
Supernatural cats on a tin roof
  • Titre: Supernatural cats on a tin roof
  • Medium: Huile sur papier
  • Dimension: 12" x 16"
  • Collection:The Chicago Gallery of Haitian Art
Activités nocturnes
  • Activités nocturnes
  • Dimensions: 24" x 48"
  • 1959
  • Collection: Galerie Myriam Nader
Women going to mountain homes
  • Titre: Women going to mountain homes
  • Medium: Huile sur Masonite
  • Dimensions: 8" x 24"
  • vers 1962
  • Collection: Privée
In the fields
  • Titre: In the fields
  • Medium: Huile sur toile
  • Dimensions: 38" x 55"
  • Collection: Privée
La chapelle du village
  • La chapelle du village
  • Medium: Huile sur toile
  • Dimensions: 24" x 16"
  • Collection: Lionel Duvalsaint
Voyageur sous la pluie
  • Voyageur sous la pluie
  • Medium: Huile sur masonite
  • Dimensions: 18" x 24"
  • Collection: Privée
The bad storm
  • The bad storm
  • Dimensions: 20" x 16"
  • Collection: Galerie Myrian Nader

Certaines des œuvres de Charles Obas sont des allégories dépeignant la dureté des conditions de vie sous le régime dictatorial de François Duvalier. Villageois accablés, tempêtes de pluie, ports agités, nocturnes inquiétants sont quelques-uns de ses motifs les plus fréquents (4).

Dans ses toiles, Charles Obas est aussi prisé pour le traitement du clair-obscur, pour ses scènes illuminées par des lampadaires où il traduit la peur que vit la population la nuit lorsque les rues sont occupées par les tontons macoutes. Comme pour présager son destin, les toiles de Charles Obas sont toujours nuageuses - souvent pluvieuses - et sombres sinon menaçantes.

D’après Gérald Alexis, la religion joue aussi un rôle dans la carrière de Charles Obas : On sait qu’il a peint une série de Christ. Dans l’un de ses tableaux montrant des personnages pris dans une tempête, on peut voir une femme brandir un crucifix vers le Christ d’un calvaire. Ce geste d’injonction qu’accompagne généralement la formule «Vade retro Satana» destinée, dans son sens propre, à repousser le diable, le mal, nous fait voir ici ce qui serait l’expression de deux croyances: l’une vodou, l’autre chrétienne.  On sait, par ailleurs, qu’Obas s’est converti au protestantisme après son mariage. Il dit que ce changement n’a pas affecté son art. Il aurait, par contre, changé sa vie, devenue plus régulière. Mais le fait demeure que suite à cette conversion, sa peinture a changé. Ses toiles sont alors à nouveau des images de nuit, avec des touches de couleurs vives. Elles sont des images rendues par une touche devenue grasse, énergique, expressive. Dans des toiles montrant des bandes de rara, le mouvement prend le dessus et la touche se fait l’interprète de la frénésie des danses que l’on retrouve dans ces festivités populaires du Carême. Les corps regroupés, dansant frénétiquement, ne sont ici signifiés que par des lignes énergiques de couleurs vives, d’autres incisées dans un fond couleur noire de la nuit.

NOTE

La plus grande collection d'œuvres d'Obas, aux États-Unis sinon dans le monde, est l'affichage de 49 peintures sur le site Web de la Chicago Gallery of Haitian Art.

Source : Compilation Tet Ansanm pou Okap

Pour en savoir plus sur Charles Obas, nous vous recommandons :

1. Dominique Joseph Obas. Lettre à Charles Obas, né le 10 février 1927, disparu au palais national le vendredi 31 octobre 1969.

2. Gérald Alexis. Charles Obas : Une peinture singulière.

3. Beethova Obas. Le témoignage du musicien Beethova Obas

4. . Charles Obas (1927-1969)


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